Edwige Chirouter : "Philosopher, c’est permettre de développer son esprit critique, de penser par soi-même"

En quoi la pratique de la philosophie dès le plus jeune âge est-il de plus en plus important ?

"Philosopher, c’est permettre de développer son esprit critique, de penser par soi-même, c’est aussi créer un espace de dialogue avec les autres. C’est également un moyen d’interroger des notions parfois complexes et de questionner certains thèmes d’actualité. Mais aujourd’hui, l’accès à la philosophie est encore trop restreint. En France, elle n’est dispensée qu’à partir de la Terminale des lycées généraux et technologiques mais pas professionnels, excluant de fait toute une partie de la population qui en a le plus besoin, à savoir les enfants et les adolescents.

Dans le monde dans lequel nous vivons, où il est de plus en plus nécessaire de réfléchir et de nous questionner, démocratiser l’accès et la pratique à la philosophie dès le plus jeune âge n’a jamais été aussi primordial. C’est tout l’enjeu et l’ambition de cette chaire UNESCO."
 

Quelles sont les actions menées par la chaire UNESCO pour permettre de démocratiser la pratique de la philosophie ?

"Depuis sa création, la chaire UNESCO "Pratiques de la philosophie avec les enfants : une base éducative pour le dialogue interculturel et la transformation sociale" s’attache à développer des activités à la fois de recherche et de formation. Un des axes est de former toutes celles et ceux qui sont sur le terrain, qui sont au contact des enfants et des adolescents, comme les professeurs, les éducateurs spécialisés, les médiateurs culturels ou les bibliothécaires. L’objectif est de les outiller et leur donner les clés qui leur permettront de mettre en pratique la philosophie avec les plus jeunes.

Un autre axe est de produire du savoir et des connaissances, à travers notamment la production de publications scientifiques, de ressources pédagogiques et de ressources éducatives libres (REL). Nous portons un Diplôme Universitaire ("Concevoir et animer des ateliers de philosophie avec les enfants et les adolescents à l'école et dans la cité") un Certificat Universitaire ("(Re)découvrir la philosophie grâce à la Pop Culture") et un MOOC verra le jour pour 2027."

 

"Sur certains sujets, il faut savoir prendre de la hauteur, faire des détours, mettre de la distance affective" 

Selon vous, comment peut-on amener les plus jeunes à appréhender la philosophie ?  

"Les enfants comme les adolescents se posent souvent de nombreuses questions qui concernent la mort, la violence ou la justice qu’il est parfois difficile d’aborder et de traiter. Il y aussi tout un tas d’interrogations nouvelles liées à l’actualité du moment, comme l’IA par exemple. Sur ces sujets, il faut savoir prendre de la hauteur, faire des détours, mettre de la distance affective pour permettre de dialoguer et de discuter sereinement.

La fiction est en cela un bon moyen d’aborder tous ces sujets, que ce soit par la littérature jeunesse (les albums, les contes...) pour les plus petits, ou les films et les séries pour les plus âgés. Par l’intermédiaire de ces œuvres, des thèmes qu’elles abordent, il est possible de créer des espaces de dialogue et de discuter de notions parfois trop complexes d’accès au premier abord."
 

Comment expliquez-vous que l’accès à la philosophie ne soit pas plus démocratisé en France ?

"Il y a un blocage institutionnel qui fait qu’aujourd’hui la philosophie n’est proposée qu’à partir de de la dernière année au lycée. Ce blocage est lié à la définition et à la représentation que l’on se fait de cette discipline. On ne pense pas que la philosophie puisse être un levier dans le système éducatif. On ne pense pas non plus que la philosophie puisse être une pratique rigoureuse et sérieuse dès le plus jeune âge. C’est pourquoi il est si difficile de faire bouger les lignes actuellement. Je pense également qu’on sous-évalue la capacité intellectuelle des enfants à pouvoir s’intéresser à des questions complexes et à philosopher. Néanmoins, il faut continuer à agir, à former, à sensibiliser. Il y a derrière tout cela un enjeu de défense de la démocratie."